La méditation au risque de la science et des media

Aujourd’hui, la méditation est souvent présentée par les média sous un angle ultra positif comme remède quasi-universel: elle soigne tout, guérit tout et tout le monde. Etudiée scientifiquement au moyen d’IRM et d’électroencéphalogrammes, elle devient le remède, la pratique favorite par laquelle améliorer sa vie. Mais que disent vraiment les recherches de qualité sur les effets de cette pratique?Quel impact cela peut-il avoir sur les pratiquants et ceux qui sont prêts à faire l’essai?  Les chercheurs ont-ils une responsabilité dans cette promotion tout azymut?

Ce sont quelques unes des questions qui sont traitées dans deux entretiens séparés du magazine Tricycle(Etats-Unis), avec deux chercheuses et professeurs de Brown University, Catherine Kerr et Willoughby Brown.  Elles  questionnent  la manière dont la méditation est présentée dans les média et pointent du doigt les enjeux de méthodologie, de partialité (consciente et inconsciente) dans les études scientifiques et dans la manière dont les chercheurs communiquent leur résultat.

 

Que disent ces chercheuses :

 

– au vu des études scientifiques, il est clair que les participants aux études sur la méditation n’obtiennent pas tous des bienfaits de sa pratique.  Tous les scientifiques le savent. (Kerr)

– peu d’études sur la méditation (47 sur 18753 selon l’étude Goyal publiée en janvier 2014 dans le JAMA) sont des études de grande qualité c’est à dire qui vérifient que la méditation est l’ingrédient actif. Ces études sont plus laborieuses à la mise en oeuvre[1](Britton);

– la méditation ne guérit pas tout et ne convient pas à tout le monde (Kerr et Brown);

– certains promoteurs de la méditation exagèrent les preuves scientifiques de son efficacité (Britton);

– les chercheurs doivent rechercher un équilibre délicat entre l’expression d’un enthousiasme authentique et un appel à la prudence (Kerr);

– l’efficacité et le succés de la méditation mindfulness et MBSR est en grande partie du à un processus dont chaque pratiquant est conscient : la conjonction du désir d’aller mieux avec le simple fait de s’engager dans l’action et de faire les exercices tous les jours (Kerr);

– le circuit de formation à la méditation n’est plus le bouddhisme mais la science, la médecine et les écoles (Brown);

– nous n’aimons pas les incertitudes et le public comme les media ont du mal à admettre que la plupart des recherches scientifiques n’ont pas de résultats noir et blanc, vrai et faux (Kerr);

– il serait intéressant que les études scientifiques sur la méditation ne se centrent pas uniquement sur les changements et les mécanismes neurobiologiques mais qu’elles prennent plus en compte le vécu des participants/méditants (Kerr).

 

Que tirer de ces remarques :

Il n’est pas question de mettre en cause la sincérité avec laquelle les chercheurs et les pratiquants vantent les mérites de la méditation. Le bon côté de cette vague d’intérêt sur et autour de la méditation est sans nul doute de donner l’opportunité à ceux qui n’auraient jamais franchi la porte d’un centre religieux qu’il soit bouddhique ou autre, de pouvoir en faire l’essai dans un cadre laïque. C’est donc une ouverture.

 

On peut penser que, comme pour toute discipline, les bienfaits que l’on peut retirer de la méditation varient selon les parcours, les physiologies, les attentes, les motivations et les engagements de chacun.  Est-ce raisonnable de se baser sur les écrits scientifiques ou sur les articles de la presse pour avoir confiance en la pratique de la pleine conscience? Il faut bien démarrer quelque part.   Mais comme le disent ces deux chercheuses il faut se méfier de cette vague de présentation beaucoup trop positive de la méditation et se préparer à des embûches quand la science finira par dégager plus clairement ce qui est vraiment prouvé de ce qui ne l’est pas.  Il semble donc important de revenir à notre expérience en tant que sujet participant de notre propre étude, sans doute  une étude à long terme et d’inviter d’autres à la même posture.  Sinon, la pratique peut se trouver enmurée dans des certitudes qui fabriquent des attentes qui seront décues.

 

En tant qu’instructeur ou formateur, si on transmet ces techniques de méditation de pleine conscience, c’est qu’on la pratique et qu’on y trouve son compte. Ce que l’on peut dire c’est essayez et voyez par vous-mêmes.  Le protocole MBSR est bien conçu pour cela puisqu’il invite les participant(e)s à réfléchir sur leur pratique et à échanger avec leurs pairs à mesure qu’ils s’investissent dans les différentes techniques.

 

En tant qu’instructeur MBSR, ces deux entretiens m’invitent à être particulièrement vigilant à la manière dont je présente le programme MBSR et notamment dans ma position vis à vis des résutats des recherches scientifiques.   La méditation de pleine conscience n’est pas la panacée.  Si l’on est attiré par elle, il faut en faire l’essai.  A chacun d’expérimenter.  Et à chacun de tirer les conclusions.  La méditation en tant que pratique régulière est plus le développement d’un rapport avec soi-même que la pilule qui donne instantanément accès au bonheur et au calme.  L’écart entre le degré hypothétique des études faites et les conclusions hâtives qui en sont tirées, est le miroir de  notre refus, plus ou moins partagé, d’accepter les incertitudes de nos existences.  Le calme peut-être atteint mais la tempête est toujours possible et doit finalement toujours être traversée.

 

Catherine Kerr est Assistant Professeur de médecine générale à Brown University. Elle connaît bien la méthode MBSR à deux titres :

– tout d’abord elle s’y est formé et en a bénéficié au cours d’une bataille de deux décennies avec un cancer;

– elle a de plus étudié en tant que chercheuse les effets bénéfiques de la méthode MBSR.

Sa réaction sur sa page Facebook à un article vantant les 20 bienfaits de la méditation, a généré plus de 100 commentaires.   Kerr a donc créé un groupe Facebook « Mindfulness et action habile: un groupe de discussion sur la recherche » qui a attiré 400 personnalités du monde scientifique et de la recherche ainsi que des personnes d’influence dans la communauté bouddhique avec pour but de mettre en place des stratégies pour diminuer l’écart grandissant entre le concensus scientifique sur les effets de la méditations et la manière dont en parlent les medias.

 

Whilloughby Britton est Assistant Professor de psychiatrie et de comportement humain à la faculté de médecine de Brown University. Son domaine de recherche sur la méditation comprend l’éducation, le traitement de la dépression et des perturbations du sommeil.    Actuellement, elle étudie la neurobiologie des effets particuliers de différents types de méditations sur différents types de personnes/personnalités.  Elle est la première personne a étudier les effets négatifs de la méditation intensive.

[1]           Elles sont du type « groupe actif de contrôle ».   Dans ce cas le groupe de contrôle fait tout ce que fait l’autre groupe sauf la partie méditative et les individus (du groupe de contrôle) ne savent pas qu’ils font partie du groupe de contrôle.