Corps, yoga, traumatismes et guérison

A propos du yoga, John Kabat-Zinn écrit :

« Quand vous êtes immergé dans le faire sans être centré, c’est comme si vous étiez loin de chez vous. Et quand vous vous reconnectez avec le mode être, même pour quelques instants , vous le savez immédiatement.  C’est comme si vous vous sentiez à la maison…. »

Dans ces moments là, vous ressentez que vous êtes chez vous dans votre corps également.  Il est donc un peu spécial que la langue anglaise ne nous permette pas le terme de « rebody »  dans le sens d’habiter à nouveau son corps…. d’une façon ou d’une autre, tout le travail que nous faisons à la clinique du stress (premier nom donné au programme MBSR)  implique un retour au corps. »1

Pratiquer le yoga en pleine conscience, c’est réhabiter notre corps, réincorporer notre conscience,  et laisser émerger une sensation éventuelle de complétude, de totalité, d’unification.  Nous ne sommes plus dispersés.  Nous sommes présents.  Pour beaucoup de novices et même pour des pratiquants de longue date, la méditation assise peut être un défi parce que cette nécessaire réincorporation de la conscience dans le corps doit passer par l’étape d’une pratique corporelle, indispensable à une certaine pacification.

Nombreux sont les participants au programme MBSR qui voient dans le yoga une préparation efficace à la méditation assise : le corps a besoin d’attention pour pouvoir exister sans bouger.  Le corps est la mémoire de notre expérience.

C’est ce que démontre brillamment Bessel van der Kolk, dans son dernier ouvrage : « The Body Keeps the Score »( le corps affiche le score).  Ce psychiatre, spécialiste du stress post-traumatique, montre les dégats à long terme des traumatismes divers : abus sexuels, violences de guerre, violences domestiques,…

Il constate les effets limités des thérapies basées principalement sur un échange verbal ou sur la pharmacologie.

Dans la dernière partie de son ouvrage, il examine une à une différentes méthodes de traitement souvent complémentaires qui sont des formes modernes ou anciennes de pratiques psychocorporelles.

Il évoque ainsi la mindfulness, EMDR (Eye Movement Desensitization Reprocessing), la thérapie psychomotricienne, le neuro-feedback et bien sûr, le yoga.  Aucune technique n’est la panacée, et c’est plutôt en procédant par essais successifs et par intuition que chaque cas peut être traité.  Les exemples qu’il donne de thérapies réussies sont époustouflants car ils montrent les capacités extraordinaires de résilience et de guérison de personnes qui ont subies, parfois très jeunes, des violences répétées qui les ont marquées à vie.  Dans chaque cas, ils doivent apprendre à vivre avec les souvenirs du  passé sans être bouleversés par eux, et ceci n’est possible que par une reconnexion à leur corps, à leurs sensation, à leurs émotions.

Il cite l’exemple d’Annie, une femme de 47 ans qui avait été abusée sexuellement par ses deux parents à un très jeune âge.  Elle apparaissait visiblement agitée, hypervigilante et mentalement très renfermée.  Le travail du psychiatre a consisté a l’aider à tolérer ses sensations physiques, à rester suffisamment calme pour pouvoir observer ce qu’elle ressentait sans jugement.  Elle pouvait ainsi observer ces images spontanées et ces émotions comme les  résidus d’un passé terrible et non pas comme des menaces sans fin pour sa vie actuelle.  Puis, il lui a enseigné quelques poses de yoga, sans lui apprendre la méditation, mais en encourageant la pleine conscience de ce qu’elle pouvait observer dans différentes parties de son corps de pose en pose.  Annie s’est emparée de ces techniques et a fait des progrès considérables.   Dans un de ses derniers messages à son thérapeute, elle lui écrivait : « j’ai lentement appris à simplement ressentir mes émotions, sans être terrorisée par elles.  La vie est plus gérable :  je suis plus en relation avec mes journées et plus présente à l’instant.  Je suis plus tolérante des contacts physiques, mon mari et moi pouvons regarder des films ensemble, enlacés dans notre lit.. un grand progrès.  Tout ceci m’a aidé à ressentir plus d’intimité avec mon mari. »

Et Bessel van der Kolk de conclure  :

« Le yoga s’est révélé être un moyen formidable pour retrouver une relation avec le monde intérieur et donc avec une relation à soi tendre, aimante et sensuelle »

1-Au coeur de la tourmente, la pleine conscience, Jon Kabat-Zinn, De Boeck, 2009, p. 142