Libérer la créativité de l’addiction mentale

Une personne vivant dans une communauté accueillant des personnes venant de la rue  me racontait combien l’adaptation à une nouvelle vie différente, plus abritée et protégée était lente et parfois difficile.

Une femme était venue vivre avec eux il y a plusieurs années.  Elle était entrée habillée de son manteau qui la protégeait du froid.   Au cours des deux premiers mois, elle ne quittait pas son manteau.  Il n’y avait aucune injonction de la part de la communauté pour qu’elle le retire et ce comportement était complètement accepté. Après plus de deux mois, elle a fini par l’enlever.  Sans doute portait-elle aussi ce vêtement pour la protéger de la violence de la rue.  Il lui avait fallu tout ce  temps pour qu’elle puisse se sentir en sécurité au point de pouvoir se séparer de cette carapace dont l’inutilité lui est apparue progressivement. Nous aussi, nous pouvons aussi avoir des comportements qui ont été une réponse à une situation passée et que nous consolidons par la force de l’habitude.  Elles deviennent une carapace dont l’utilité est incertaine et dont le poids nous contraint.   Ces carapaces ne sont pas toujours matérielles,  elles peuvent se manifester de manière relativement insidieuse, par des pensées qui reviennent de manière répétée, des ruminations.  Elles manifestent notre difficulté de faire face à ce que nous interprétons comme inacceptable, ce que nous jugeons comme injuste, ce que nous refusons.  Parfois ces pensées, ces jugements, sur nous-mêmes ou sur d’autres, nous empêchent d’évoluer, d’avancer.

L’apprentissage de la méditation permet de découvrir à quel point nous avons l’habitude de ruminer, d’être distrait et de cultiver ces ruminations …..de manière automatique.  C’est ce que Judson Brewer*, chercheur en neuroscience,  appelle l’addiction à la pensée.  Ne sommes nous pas  tous, à un moment ou à un autre, pris dans le piège de nos pensées.

En effet, ces pensées qui reviennent en boucle vont souvent de pair avec des humeurs négatives.

 

C’est ce que montre l’étude de Killingsworth et Gilbert de 2010 en sondant 2200 personnes à différents moments. Ils ont utilisé  des smartphones qui sonnaient à différent moment de la journée et leur demandait de répondre à trois questions :

1- Que faites-vous?

2- Etes vous en train de penser à autre chose qu’à ce que vous êtes en train de faire?

3- Comment vous sentez vous maintenant? (très bien, bien, moyen, mal, très mal)

Cette étude a permis de montrer qu’environ la moitié du temps les participants ne pensaient pas à ce qu’ils faisaient.  De plus, quand les participants étaient déconnectés de ce qu’ils faisaient leur humeur avait plutôt tendance à être négative.

 

En quoi la pratique de la méditation peut elle être utile?

Elle permet de repérer les thèmes et les assertions contenues dans ces pensées qui reviennent de manière répétée..

Elle permet ainsi d’identifier des schémas de croyances qui se manifestent de manière spontanée et de prendre de la distance, de ne pas leur donner le poids de la vérité :  nous apprenons à  nous désidentifier de nos pensées.  Des pensées ruminatives en boucle peuvent ainsi progressivement laisser la place à un espace qui permet éventuellement plus de créativité et d’assumer la prise de risque nécessaire à toute évolution qui nous sort de nos sentiers battus et rebattus.  Nous remplaçons l’addiction à nos pensées au goût et peut-être à la joie d’un espace de liberté.   Nos pensées peuvent revenir mais nous pouvons peut-être ne plus les croire sur parole.

*The Craving Mind,from Cigarettes to Smartphones to Love – Why We Get Hooked and How We Can Break Bad Habit, Judson Brewer, M.D., Ph.D.; Foreword by Jon Kabat-Zinn, Yale University Press, 2017