Michaux et la mescaline ou la folie qui pointe son nez

Dans le livre de Podvoll dont j’ai parlé dans la Newsletter d’avril, le quatrième cas évoqué pour parler de la construction/élaboration de la folie est celui, relativement innatendu d’Henri Michaux(1899-1984), plutôt connu, comme écrivain, poête, dessinateur et peintre. En effet Michaux, eut une enfance malheureuse et recluse et une vie adulte d’ermite relatif ( à part la période de 7 années où il a vécu avec sa femme morte en 1948 des suites d’un accident domestique). Selon Podvell, Michaux semble s’être battu avec une prédisposition à l’autisme. Michaux s’est par ailleurs beaucoup intéressé à la maladie mentale et aux malades eux-mêmes.
A l’âge de 56 ans et pendant 10 ans(de 1957 à 1966), sous le contrôle d’un médecin, il fit des expériences avec la mescaline, un hallucinogène. Il relata son expérience dans de nombreux, essais, poèmes, dessins et peintures. Contrairement à de nombreux récits faits par d’autres de leur expérience avec des drogues hallucinogènes, Michaux se fit un chroniqueur discipliné et précis de son expérience. La particularité de sa démarche se résume en deux points :
– il ne prenait pas de la drogue pour être « high » mais pour induire une expérience, limitée dans le temps, de ce que peut-être la folie et pour comprendre ses mécanismes;
– il avait une pratique solide de la méditation et avait l’habitude d’observer ce qui se passait dans son esprit. Son approche était subjective mais avait la rigueur d’une expérience scientifique(deux mots, subjectivité et scientifique, je m’en rends compte, qui sont antinomiques chez certains).

Ce sont ces deux points qui rendent l’étude des différents récits, poèmes basés sur ses expériences tout à fait révélatrices.
Le travail que fait Podvoll, à partir des écrits de Michaux, c’est de recombiner, structurer et résumer les mécanismes de l’expérience hallucinatoire induite par la mescaline en les confrontant et les assimilant à des expériences de folie « ordinaire ». La démonstration est parlante et convaincante. Le but de Michaux est bien de démonter les mécanismes de la folie afin que leur connaissance puisse être utile aux malades eux-mêmes. « Toutes les formes de folie ont des aspects communs » . Il se sent proche des personnes atteintes de maladies mentales et a pour elles de la compassion. Michaux définit l’expérience de l’état second comme camp de base à partir duquel se développe la folie. L’état second c’est la perte de contrôle : rien ne peut être pensé dans la continuité, on ne peut plus commencer et on ne peut plus diriger la machine, il n’y a plus de freins mais un train de pensées débridées qui ne peuvent être arrêtées. Les micro-opérations – vitesse, pensée accélérée, pensée follement accélérée et pensée répétitive et multiplicatrice, oppositions, animations infernales, etc.- sont les graines qui font germer la folie. L’intérêt de ces expériences c’est qu’elles rendent perceptibles ces mécanismes mentaux qui fonctionnent de manière moins débridés chez l’individu non atteint, non drogué. Autrement dit : l’expérience hallucinogène, mime l’expérience de la folie (souvent de nature hallucinatoire), en révèle le fonctionnement qui est à la base celui exagéré de l’individu ordinaire. Mais seul la folie, ou son double hallucinogène, permet la perception de ces mécanismes non conscientisés chez l’individu « normal’.Podvell, après avoir passé en revu et disséqué les différentes micro-opérations fait la théorie des causes et des conditions, il s’agit de ce qu’il appelle le « cocktail », qui sont nécessaires pour donner acccès à l’état second. Elles sont : la situation problèmatique, l’intention, l’effort, la substance, la perte d’attention.

Explorons la première, la situation problématique. C’est le déclencheur. Il peut être varié et avoir des cause toxiques ou génétiques mais très souvent,c’est un amour malheureux, sans espoir, sans retour. Le soi est rejeté et le sentiment de perte de substance peut induire une spirale de transformation vers une destination psychotique.
En dehors de l’amour malheureux et autres traumatismes psychologiques, il donne une longue liste de blessures au corps/esprit de déclencheurs qui peuvent créer des perturbations importantes de la conscience et éventuellement de troubles profonds :
réactions allergiques au blé et au seigle, réaction toxique à des anesthésiants, à la pénicilline et à d’autres médicaments, déséquilibre endocriniens : hypo ou hyper-thyroïdie, stéroïdes de remplacement complications, post-opératoires par exemple suite à un pontage chirurgical des artères coronaires, traumas crâniens de tous types, anormalités dans le cerveau, déficience en Vitamine B12,
Certaines causes sont plus connues : pathologies auto-immunitaires (SIDA, sclérose en plaque, lupus,..), conséquences de l’enfantement (psychose post-partum), empoisonnement par l’alcool, manque de sommeil, isolement sensoriel.
La folie a donc des causes et le sujet peut les exacerber ou les calmer.

Repensez à vos traumatismes ou mini-traumatismes, quand vous êtes passés sur le billard, par exemple, vous verrez que la folie a pointé le bout de son nez….

à lire :
L’infini turbulent, Henri Michaux, 1964, Gallimard,
Misérable miracle, Henri Michaux;1972, Gallimard