Déconfinement

Pour certains, le déconfinement est vécu comme une libération, pour d’autres, c’est plus difficile. Interrogée à la radio cette jeune femme, qui se présente comme autiste, craint le déconfinement qui soulignera sa différence, son moindre attrait pour les relations sociales. Ou cet étudiant isolé pendant plus d’un an, qui a encore du mal à voir ses amis, malgré leurs sollicitations.

Le retour aux habitudes festives et sociales, les joies collectives, les élans qui s’élèvent et retombent ne sont pas réjouissances pour tous. La fin de certaines contraintes n’est pas toujours une libération.

Bien au contraire, elle peut être vécue comme une perte de repères, une atteinte à l’identité.

Ainsi la fin des privations et le retour à une plus grande liberté sont parfois la source de chaos, de confusion, d’angoisse. La libération des détenus après une longue peine est souvent vécue comme un défi brutal, le pendant du choc carcéral initial. A l’inverse,les mêmes événements qui pourraient être perçus comme des épreuves deviennent de formidables opportunités. C’est le cas du séjour en prison de Goliarda Sapienza, romancière italienne connue pour son roman fleuve, L’Art de la joie, considéré par beaucoup comme une œuvre majeure de la littérature italienne contemporaine.

En 1980, à quasi 60ans, après un vol de bijoux, Goliarda Sapienza est écrouée à la prison de Rebibbia, à Rome. Elle sort d’une période de dépression, après avoir essuyé  les refus des éditeurs italiens de publier L’Art de la joie auquel elle vient de consacrer neuf années de sa vie. On peut lire une version écrite de son séjour en prison dans son récit, l’Université de Rebibbia, publié en 1983. A Rebibbia, elle rentre dans univers coloré, rocambolesque, souvent violent, où se côtoient une pléiade de personnages singuliers, prisonnières politiques comme prisonnières de droit commun ; nous sommes pendant les années de plomb. Rebibbia c’est la prison en chair, en os, en émotions. C’est aussi l’humanité, la solidarité, la compréhension et l’amour qu’ont ces femmes en contraste avec la grisaille de la détention. C’est en partageant sa cellule, et sa vie avec d’autres femmes, exclues ou marginales de la société italienne, qu’ elle retrouvera le goût de la vie, sans doute le goût de la liberté. Cette femme engagée politiquement, décrit comment les échanges directs, sans faux-semblants des prisonnières, lui font connaître la possibilité de vérité dans les échanges humains à l’encontre du mode de communication sinueux des aristocrates qu’elle fréquentait auparavant. Chaque événement, chaque rencontre de ce récit, est décrit dans un style inimitable, basé sur les ressentis des cinq sens : sons, couleurs, odeurs, goûts et sensations tactiles. A ce ressenti physique se rajoutent les métaphores, autant inattendues que pertinentes, qui décrivent les émotions ressenties. Rebibbia, une Université, parce qu’à Rebibbia, on réapprend à vivre et à parler vrai. Peut-être une université de la pleine conscience : en prison, on peut apprendre à faire attention. Il faut sans doute rappeler ici que le séjour de Golardia à Rébibbia fut assez court…contre son gré.  Si notre vie nous semble parfois une prison, peut-être pouvons-nous nous en libérer en l’habitant pleinement.