Marina Abramović : 512 heures

Après être restée assise 7h et demie par jour (sans se lever, boire ou manger) pendant 3 mois en regardant dans les yeux les visiteurs du Musée d’Art Moderne de New York qui venaient s’asseoir 3 minutes face à elle, Marina Abramovic, 67 ans, papesse et grand-mère du performance art, et notamment de la performance de longue durée, récidive à la galerie Serpentine de Londres. La performance dure du 11 juin au 25 août, soit 512 heures au total. Les visiteurs de la galeries sont les sujets/objets de cette performance. Abramovic et ses assistants sont des instructeurs, des guides et sans doute des témoins.

Pendant que je fais la queue à l’entrée de la galerie (pendant 20 minutes pour ma part mais cela peut être plus) une jeune femme me donne un petit dépliant où sont consignées les instructions :
– c’est gratuit
– il faut avoir plus de 12 ans
– si vous entrez, vous acceptez d’être filmé et photographié
– vous devez laisser tous vos sacs, manteaux, appareils photo, téléphones portables, etc… dans un casier fermé à clé
– vous pouvez rester autant de temps que vous voulez
– vous pouvez partir quand vous voulez
– l’exposition est visible par une personne sur une chaise roulante
– si vous partez, vous ne pouvez pas rentrer sans faire la queue

Après avoir mis mon portable, ma montre et mon appareil photo dans le casier dont je garde la clé, je rentre dans la première salle. Assez rapidement une jeune femme toute en noir (c’est la couleur tendance des vêtements de tous les jeunes de Londres) me prend par la main. C’est assez curieux, cette intimité non sollicitée. Je ne ressens pas d’agression mais au contraire une certaine douceur. Elle me guide lentement et j’ai le temps d’apercevoir d’autres visiteurs les yeux fermés, debout, et immobiles au centre de la première pièce. Nous allons dans une des deux pièces adjacentes. J’entends un ronronnement de ventilation. Ma guide me fait faire demi-tour et s’arrête, me demande de fermer les yeux et de me concentrer sur ma respiration. Je le fais… Immédiatement, le fait de fermer les yeux me fait ressentir une tension assez forte dans ma nuque et mon dos. Le ronronnement de la ventilation apparaît encore plus prégnant. Je suis fatigué. Elle désengage sa main et la place à plat dans mon dos au milieu des omoplates. L’idée qui me vient tout de suite c’est celle d’une guérisseuse. Puis elle passe ses deux mains sur mes épaules. Elle les lisse. Je reste ensuite là….à…méditer… sans bouger. Méditation attentive…. Mais le fait de nommer mon expérience et de la reconnaître, me détourne de l’expérience proposée. Je ne suis plus un débutant…et ce n’est pas un avantage.Du coup, je lutte pour rester concentré et je m’égare. Au bout de 20- 25 minutes je me dis qu’il faut que je voie ce qui se passe si je veux écrire un article pour ma Newsletter. Je rouvre les yeux. Personne ne parle. La magie du silence.
Je vois que des visiteurs sont assis en rangée sur des chaises qui font face à des vitres opaques blanches (ou ce sont des rideaux). Ils sont devant des petites tables individuelles. Et ils manipulent des grains de riz et des grains noirs. Ils prennent des notes avec crayon et papier. Ils ont l’air de les compter. Ils les regroupent en petits tas. Sont -ils bien concentrés sur ce qu’ils font ? Ils en ont l’air.
Je vois une femme qui tient un miroir devant elle et marche à reculons. Un autre fait des pas avec un guide mais les yeux fermés. Je décide de quitter la pièce.
Je retourne lentement dans la pièce centrale. Je tombe sur Marina A. Elle me dit qu’ici la plupart des gens ont les yeux fermés pour mieux ressentir ce qui se passe. Je ne discute pas. Elle me guide vers le groupe central en me disant: ils construisent un cercle énergétique, essaie et vois si ça marche pour toi. Je suis docile. Je reste planté là comme les autres debout. Je ressens ce qui se passe…pas forcément un cercle énergétique. Je rouvre les yeux. Les visiteurs ont l’air de figurants dans Rencontres du 3e type. Je quitte la galerie car je risque d’être en retard pour mon rendez-vous. Il y a quelque chose de primaire, animalier, shamanistique dans cette performance même si une coloration d’artificialité artistique tendance….en tous cas, comme on dit…..on se pose.