Rosetta

La sonde Rosetta, lancée en mars 2004 par l’Agence Spatiale Européenne, est sur le point, plus de 10 ans après, d’envoyer l’atterrisseur robot Philae, se poser sur le noyau de la comète Tchourioumov-Guérassimenko à quelques 650 millions de km de la terre. Un projet d’un milliards d’euro. Passons sur les prouesses technologiques et scientifiques pour en arriver là, abondamment disponibles et commentées. Bien loin de comprendre le détail des enjeux scientifiques liés principalement à la connaissance de la formation du système solaire et éventuellement aux mécanismes qui ont amené la vie sur la terre, je suis plus intéressé par la question symbolique et philosophique de l’entreprise. Rosetta, nom évocateur de la pierre de Rosette sur laquelle est inscrite un décret du pharaon Ptolémée V datant de 196 avant J-C. Le même texte est gravé deux langues (égyptien ancien et grec ancien) et en trois écritures (égyptien en hiéroglyphes, égyptiens, démotique et alphabet grec) ouvrant ainsi la porte à la traduction et à la compréhension de l’écriture hiéroglyphique.

Le nom est plus que pertinent car la sonde embarque avec elle un « Rosetta Disk », sorte de pierre de Rosette contemporaine, disque de la taille d’une main qui contient 13,000 pages d’informations sur plus de 1500 langues humaines, assurant ainsi une sorte d’archivage linguistique des langues en usage sur la terre. D’un côté du disque, le titre « Langages du monde », lisible à l’oeil nu, est écrit dans les huit langues les plus usitées et se poursuit par un texte explicatif et introductif qui se déroule en spirale, et dont la taille des lettres diminue progressivement vers une échelle microscopique. Les lettres sont taillées dans le nickel par un procédé technologique de pointe rendant cette forme d’archivage extrêmement résistant à l’érosion et aux variations de température. Les multiples pages d’information sur les 1500 langues se trouvent sur l’autre côté du disque. La largeur de chaque page est de la largeur de cinq cheveux humains. Les pages peuvent toutes facilement être lues avec un microscope grossissant 650 fois. Elles contiennent des informations sur la grammaire, la région géographique, la phonétique et un vocabulaire minimal de chaque langue. Elles contiennent aussi les premiers chapitres de la bible ainsi que la déclaration des droits de l’homme dans différentes langues. Le disque est lui-même enclos dans une sphère destinée à le protéger. Vous pouvez l’acquérir pour 10.000$ auprès de la Longnow Foundation, promoteur de ce projet. Cette Fondation, établie sur la côte Ouest des Etats-Unis a aussi créé une horloge destinée à fonctionner pendant les 10.000 prochaines années et organise des conférences et des débats dont les thèmes sont liées à l’avenir à long terme (long term thinking). L’homme à l’origine de cette fondation est Brian Eno, pape de la musique électronique, créateur de l’ « ambiant musique » qui a collaboré avec des groupes et des artistes aussi divers que : Roxy Music, David Byrne ,David Bowie, David Lynch, U2, Talking Heads, Genesis….

Belle image, que cette sonde qui voyage dans l’espace pour mieux comprendre notre origine protohistorique et qui porte en son sein ce disque de Rosette, mémoire de nos langues dont certaines disparaissent sous nos yeux. Sa mission accomplie, la sonde tournera pendant des milliers d’années autour du soleil, à disposition d’éventuels Champollions futurs. L’infiniment petit des pages se conjugue à l’infiniment lointain de l’espace pour perdurer dans l’infinie du temps, à la recherche des traducteurs interstellaires. Peut-être que Rosetta aurait aussi pu diffuser de la musique électronique dans l’espace?

Mais que vient donc faire cette minuscule araignée qui traverse l’écran de mon ordinateur au milieu de l’écriture de cet article?
Pour en savoir plus