La satiété

En 1939, Clara Marie Davis, une pédiatre de Chicago publia une étude qui devait faire date : »le résultat d’un régime autogéré par des jeunes enfants ». Elle avait réussi à convaincre des jeunes mères et des veuves qui n’avaient pas les moyens d’élever leurs enfants de les lui confier et de les placer dans un orphelinat avec pour but une étude expérimentale d’alimentation autogérée. 15 enfants de 6 à 11 mois participèrent au démarrage de cette étude qui dura, pour les deux enfants les plus longtemps suivis, jusqu’à quatre ans. Ces enfants n’avaient jamais fait l’expérience de nourriture solide. A chaque repas, un plateau contenant un choix parmi 34 ingrédients fut placé devant chaque enfant. La plateau n’était retiré que quand les enfants avaient clairement arrêté de manger. Les ingrédients étaient frais et constitués de fruits et légumes (cuits ou pas) , des œufs (crus et cuits) de viande (boeuf, poulet, agneau) cuite et crue (boeuf) et de poisson cuit. Sur les 3 repas quotidiens chacun des 34 ingrédients étaient présentés une fois. Ils étaient, si nécessaire, cuits et/ou coupés et/ou hachés pour permettre leur ingestion et digestion. Il n’y avait ni nourriture cuisinée, ni conserves, ni assaisonnements. Chaque enfant se servait lui-même et mangeait avec ses doigts. Les enfants montraient leur joie quand le plateau arrivait, mangeaient de manière continue pendant 15 ou 20 minutes, puis mangeaient encore de manière intermittente pendant 5 ou 10 minutes.
L’étude montra que chacun des enfants avait au cours des années qui suivirent grandi sainement et que cinq d’entre eux qui avaient des problèmes de rachitisme en guérirent sans traitement autre que la nourriture qu’il s’administrait.
Cette étude eut un retentissement important dans les années qui suivirent notamment au travers du célèbre « baby doctor » , le docteur Benjamin Spock, qui écrivait en 1946 dans un de ses livres à succès qu’une mère : « peux faire confiance à l’appétit non contaminé de son enfant pour qu’il choisisse son régime alimentaire, si elle lui sert une raisonnable variété équilibrée de nourriture naturelle et non pré-cuisinée qu’il prend plaisir à manger ». Davis reconnaissait qu’il y avait un orientation particulière de son étude qui favorisait le succès des choix des enfants, c’est que l’ensemble des nourritures proposées étaient toutes « saines ».
Même si l’étude, malgré une accumulation de données – qui par la suite furent détruites ou perdues, ne fournit que très peu d’analyse quantitative, et donc eut une valeur scientifique diminuée, elle vaut encore par le témoignage de Davis qui a pu observer les enfants et faire confiance à leur sagesse naturelle et leur sens de la satiété. Des études montrent que jusqu’à l’âge de 5 ans, les enfants font confiance à ces signaux de satiété pour réguler leur alimentation. Après cet âge, ils attachent plus d’importance à la quantité de nourriture qui se trouve dans leur assiette. Selon Jan Chozen Bays, auteur de Manger en pleine conscience, qui cite l’étude de Davis, nous pouvons retrouver un certain sens naturel de satiété. Un des facteurs les plus importants pour reconnaître la satiété, c’est le facteur temps : manger lentement pour permettre aux nombreux signaux physiologiques qui nous indiquent que nous avons suffisamment mangé. Plus on mange vite et plus ces signaux sont brouillés. Lors de repas en silence, ou l’on a tendance à manger plus lentement, il est parfois remarqué que cette satiété est atteinte plus rapidement. A essayer ?

Jan Chozen Bays, Manger en pleine conscience, Editions Les Arènes, 2013