Famille, conflit, émotions, pardon

La famille est potentiellement un énorme réservoir de soutien. Elle peut façonner un sentiment de sécurité, d’aise, de confiance en soi. A l’inverse, la famille peut créer une atmosphère de doute, de défiance, d’insécurité et il est alors difficile de trouver l’aise et la confiance. La plupart des familles semblent relever de ces deux modèles. Il y a des zones de soutien mais il y a aussi des zones de friction, de difficultés. Parfois aussi, la famille est purement chaotique, son fonctionnement est déterminé par un ou plusieurs membres dominants dont le comportement crée un sentiment d’insécurité permanente: chacun doit à un moment ou à un autre penser à sa survie à l’intérieur de la famille. Alors, il peut devenir nécessaire de s’en éloigner.

Dans bien des situations, notre comportement est modelé par la manière dont nous nous sommes positionnés, dont nous nous sommes affirmés, protégés ou assujettis dans notre famille.

Au fur et à mesure de notre avancée dans la vie, nos liens familiaux restent liés à ces modes de fonctionnement. Et souvent, notamment lors d’événements notoires, lors de naissances, de mariages, de décès, de maladies, les conflits enterrés ressurgissent, les affaires non réglées refont surface. Les rancunes, les jalousies, la colère se manifestent.

Et il n’est pas facile d’y faire face.

Nous nous définissons plus ou moins en tant que membre de notre famille, fratrie ou couple. Quand nous avons une relation familiale conflictuelle, antagoniste ou hostile, c’est cette identité qui est la cible.

C’est elle qui peut maintenir la négativité de cette relation.

Et notre identité est largement fortifiée par l’histoire que nous créons autour de ce conflit qui nous enchaîne : les torts que nous soulignons, les jugements dont nous ne démordons pas. Alors nous nous figeons et nous souffrons.

Comment sortir de ce cercle vicieux et de ces ruminations inutiles?

Comment ne pas réagir et ne pas renforcer ces schémas?

Premièrement en voyant la part consciente ou inconsciente que nous avons dans l’activation du conflit ou dans son renforcement.

Deuxièmement en comprenant mieux comment l’autre agit, en repérant ses automatismes.

Pour accéder à cette compréhension, il est nécessaire de se rendre compte du caractère automatique de ses jugements et trouver ainsi l’espace pour réévaluer la situation. Et pour trouver cet espace il est important d’accepter les émotions que ce conflit suscite aussi pénibles qu’elles nous paraissent.

D’où l’importance d’apprendre à être avec nos émotions telles qu’elles sont. Le mot émotion, vient du latin motio qui veut dire mouvement.

Les émotions par définition sont des mouvements à l’intérieur de nous-même. Elles bougent sans cesse. Quand nous les rejetons, en fait nous essayons de les bloquer, nous essayons de les figer pour les neutraliser. Mais comme elles ne sont que mouvement nous sommes dans une lutte perpétuelle, qui se traduit par une proliférations de pensées en forme de jugements souvent acérés. Elles ne font que passer, et il est fondamental de pouvoir reconnaître que nous nous y agrippons. Tant que nous sommes conscients du fait que nous bloquons l’émotion au moyen de nos jugements et que l’enchaînement de nos pensées et ruminations est automatique, nous gardons une marge de manoeuvre, un espace de liberté.

Nous pouvons penser que c’est bien difficile, qu’il est bien difficile d’être un être humain sensible et vulnérable, qu’il est bien difficile de mettre de côté notre version de la situation, d’être raisonnable sans avoir le dernier mot. Mais en fait, ces situations, difficiles et parfois extrêmement douloureuses sont l’opportunité unique de prendre conscience de notre réactivité, de nos automatismes. Car c’est la difficulté même de la situation qui peut nous rendre plus vigilant et plus alerte. Alors, nous comprenons à quel point l’enjeu est de ne pas aggraver la situation. Nous comprenons à quel point notre marge de manoeuvre est restreinte et en même temps déterminante car nous réalisons que nous ne pouvons que nous apaiser nous-même et qu’il faut laisser l’autre suivre sa route qui est peut-être différente : la meilleure protection devient la non violence.

C’est elle qui nous permet de lâcher prise: elle est la condition et le résultat de l’apaisement. Et si nous retombons dans les illusions qui raniment la flamme du conflit, alors il est important de retrouver le chemin de la responsabilité sans pour autant se flageller.

Souvent, la clé de la libération finale est le pardon, et nous pouvons avoir une route plus ou moins longue à faire sur ce chemin. Ce n’est que par l’acceptation et la non-violence que nous cheminerons pas à pas dans les diverses étapes du pardon.