Devenir aveugle pour mieux voir

Comment une épidémie affecte-t-elle le lien social ? Comment affecte-t-elle notre perception de nous-même et de nos relations ? Comment l’augmentation subite de notre vulnérabilité fait-elle vaciller les perceptions et les représentations ?

Dans son livre célèbre, l’aveuglement, José Saramago, prix Nobel de littérature, imagine une telle crise : les personnages de la fiction par simple proximité physique avec des personnes déjà devenues aveugles, deviennent subitement aveugles elles aussi, sans que l’on puisse savoir pourquoi ou comment. Les nouveaux aveugles sont rassemblés, parqués, emprisonnés, surveillés par l’armée. Les règles sociales habituelles sont remplacées par l’exploitation sans limite des plus forts par les plus faibles. La survie remplace la vie.

La description crue de la descente aux enfers des personnages semble prendre le pas sur toute possibilité de trouver un sens à cette histoire : le lecteur est plongée dans le ressenti du malheur où chaque souffrance est un défi auquel succède une autre souffrance.

Mais ce que cet aveuglement, cette perte de repères permet de voir, c’est qu’au milieu du chaos total, c’est la bienveillance et la solidarité qui non seulement facilitent la survie mais aussi donnent un cadre et un sens à la vie. Cela semble être la morale de l’histoire.

Aujourd’hui, avec la pression de la pandémie, nous partageons une certaine inquiétude, quand ce n’est pas une difficulté de survie dans un monde qui est encore pour la majorité celui du confort et de l’abondance.

Les repères habituels basculent, et les plus faibles, les plus fragiles en pâtissent.

Le contexte de la crise, augmente la perception de notre vulnérabilité. Ainsi la pandémie nous fait voir ce qui avant n’était pas ou mal vu. En limitant notre visibilité, en nous aveuglant au moins partiellement, elle nous force à cohabiter plus intensément avec nous-même. Elle nous invite à regarder d’un œil nouveau le monde qui nous entoure, les relations que nous tissons. En nous montrant ce qui ne va pas, elle agit comme un révélateur. En ravivant notre conscience, notre présence, la pandémie nous invite à trouver de nouvelles solutions, de nouvelles relations, un nouveau mode d’être.