Dans le bus

Paris, dans le bus 94 dans la direction de Montparnasse. Un homme dans un des sièges individuels à l’avant du bus. Assis sur le côté gauche dans le sens opposé à la marche. Il n’est pas masqué. Il regarde les gens d’un air goguenard. Les deux mains posées sur les cuisses avec un masque qu’il tient par le fil dans sa main gauche. Un autre homme est assis, sur le côté droit du bus. Dans le sens de la marche. A environ 3 mètres de l’homme sans masque. Lui, comme tous les autres passagers du bus est masqué. Il consulte son portable qu’il tient devant lui. A la hauteur de sa poitrine. A l’oblique. Dans la direction de l’homme sans masque.

  • vous êtes en train de me filmer ? ….. vous me filmez c’est ça ?…. vous êtes de la police ?
  • non, non je vous assure, je suis juste en train de regarder mes messages
  • vous me filmez ? …. Vous allez donner la vidéo à la police ?….
  • non, non, je vous assure, je ne suis pas en train de vous filmer….ça ne me regarde pas que vous ne mettiez pas de masque…c’est pas mon problème
  • vous savez j’en ai rien à foutre si vous appelez la police…je sais très bien ce que vous faites.

Le dialogue sur le même ton agressif de l’homme sans masque et défensif de l’homme au portable continue. Sans déboucher nulle part.

Un autre homme interfère d’une voix forte : laissez le tranquille !

Plus tard l’homme au portable descend du bus après avoir renoncé à convaincre l’autre de sa bonne fois.

Encore un peu plus tard, à un arrêt, un homme, juste avant de descendre du bus crie avec fureur en direction de l’homme sans masque : arrêtez de gueuler et mettez votre masque !

L’homme sans masque, qui est une baraque, se précipite et réussit à descendre avant que le conducteur ne referme les portes. Il marche d’un pas très décidé. Il a l’air en colère. Je pense qu’il va se jeter sur l’homme qui l’a interpellé. Pas du tout. Il le dépasse, comme s’il l’avait oublié et continue sa marche vive, toujours furieux.

Y a-t’il une morale à cette histoire ?

Parfois je pense que c’est vraiment mieux de ne pas répondre, de se taire. Mais peut on le dire absolument?

On est importuné. Forcément, cela finit pas nous arriver. C’est inconfortable d’être pris à partie comme cela. Voir que l’autre ne peut pas interpréter la situation autrement qu’il ne le fait. Il est pris dans un schéma qu’il ne voit pas. C’est le cas de l’homme sans masque. Mais c’est aussi le cas de celui qui lui crie : mettez votre masque ! En risquant ainsi de mettre de l’huile sur le feu.

Comment engager un dialogue, pour recréer du lien avec quelqu’un qui s’exclue lui-même du dialogue ? C’est parfois possible en changeant de sujet. Si l’on en sent la possibilité. Alors mieux vaut se sentir détendu vis à vis de la situation, en attitude d’ouverture. Dialoguer sans but. Juste chercher à rejoindre l’autre. Je ne m’en suis pas senti capable dans cette situation. J’aurais aimé. Ces situations reviennent dans nos vies. Tenter sa chance. Sans se raidir. Sans chercher à changer le monde.